Ce pamphlet est à l’origine de l’« affaire des Placards », qui déclenche une série de persécutions contre les partisans de la Réforme et contre toute personne suspectée d’hérésie. Le texte, « d’un stil trenchant et foudroyant », a été rédigé pour l’essentiel par Antoine Marcourt, pasteur à Neuchâtel. L’analyse des caractères gothiques utilisés a permis d’attribuer l’impression à Pierre de Vingle, imprimeur lyonnais également exilé à Neuchâtel.
Ce document témoigne de la puissance de l’imprimerie en tant que moyen de propagande religieuse et politique. Placardé dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, « dans Paris et en plusieurs aultres lieux de France », voire (selon certaines sources) jusqu’à la porte de la chambre du roi François Ier à Amboise, sa diffusion entraîne le durcissement du pouvoir face à la Réforme.
Les auteurs du Placard sont recherchés contre récompense. La répression est particulièrement féroce : dénonciations et condamnations au bûcher se multiplient, provoquant la fuite de certaines familles vers Bâle, Strasbourg, l’Angleterre, etc.
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- De la reforme aux guerres de religion
Transcription :
Je invocque le Ciel & la Terre en tesmoignage de vérité contre ceste pompeuse & orgueilleuse messe papalle par laquelle le monde (si Dieu bientost n’y remédie) est & sera totallement ruiné, abysmé, perdu & désolé quand en icelle Nostre Seigneur est si oultrageusement blasphémé & le peuple séduict & aveuglé, ce que plus on ne doibt souffrir ny endurer. Mais, affin que plus aysément le cas soit d’ung chascun entendu, par articles il convient procéder.
Premièrement, à tout fidèle chrétien est & doibt estre très certain que Nostre Seigneur & seul sauveur, Jésus-Christ, comme grand évesque & pasteur éternellement ordonné de Dieu, a baillé son corps, son âme, sa vie & son sang pour nostre sanctification en sacrifice très parfaict, (lequel ne peult & ne doibt jamais estre réitéré par aucun sacrifice visible. Qui ne veult entièrement renoncer à iceluy comme s’il estoit inefficax, insuffisant & impar-faict ? Laquelle chose non seulement dire mais aussi penser est horrible & exécrable blasphème. Et toutesfoys la Terre a esté & est encore de présent en plusieurs lieux chargée & remplie de misérables sacrificateurs lesquelz, comme s’ilz estoient noz rédempteurs, se mettent au lieu de Jésus-Christ ou se font compaignons d’iceluy, disans qu’ilz offrent à Dieu sacrifice plaisant & aggréable comme celuy de Abraham, Isaac & Jacob pour le salut tant des vivants que des trespasséz. Laquelle chose ilz font apertement contre toute vérité de Saincte Escripture, car, par le grand & admirable sacrifice de Jésus-Christ, tout sacrifice extérieur et visible est aboly et évacué & jamais aultre n’est demouré. Ce que je dis est très amplement monstre en l’Épistre aux Hébrieux ès chapitres 7, 9 & 10, lesquelz je supplie à tout le monde diligentement considérer. Toutesfoys, pour ung peu le toucher & ayder l’esperit des plus petis, au 7 il est ainsi escrit : «II estoit convenable que nous eussions ung évesque sainct, innocent & sans macule, lequel n’a point nécessité de offrir tous les jours sacrifices, premièrement pour ses péchez, puis après pour ceulx du peuple, car il a faict ce en se offrant une foys.» Notamment il dit « en se offrant une foys » car jamais ces oblation ne fut ny ne sera réitérée ne aucune pareille. Item au 9 chapitre : «Christ, évesque des biens à advenir par son propre sang, est entré une foys es sanctuaires.» Voicy où derechief il dit que, par se estre présenté une foys, rédemption éternelle est faicte; par quoy il est évident que, en nostre rédemption, ne avons besoing de telz sacrificateurs, si nous ne voulons renoncer à la mort de Jésus-Christ. Item, au 10 chapitre : «Voici, je viens affin, sire Dieu, que je face Ta volunté. Par laquelle volunté, nous sommes sanctifiez par l’ablation une foys faicte du corps du Christ. Et aussi le Sainct Esperit le certifie, disant : « Je n’auray plus souvenance de leurs iniquitéz »; & là où est rémission d’icelles, il n’y a plus d’oblation pour le péché.» Ce que, par argument de sainct Paul, je monstre ainsi : aux chapitres 5, 7, 8 & 10 des Ébrieux, le sainct apostre dit que pour rimper-fection des sacrifices de l’ancienne foy, fallait tous les jours recommencer jusque à ce que il en ayt esté offert ung du tout parfait, ce qui a esté faict une foys par Jésus-Christ. Donc, je demande à tous sacrificateurs si leur sa-crifïce est parfaict ou imparfaict. Pourquoy abusent-ilz ainsi le paovre monde? S’il est parfaict, pour-quoy le fault-il réitérer? Mettez-vous en avant, sacrificateurs, et si vous avez puissance de respondre, respondez !
Secondement, en ceste malheureuse messe, on a provocqué quasi l’universel monde à idolâtrie publicque quand faulcement on a donné à entendre que, soubz les espèces de pain & de vin, Jésus-Christ corporellement, réallement & de faict entièrement & personnellement en chair & en os, aussi grand & parfaict comme de présent il est vivant, est contenu & caché. Ce que la Saincte Escripture & nostre foy pas ne nous enseigne, mais du tout au contraire. Car Jésus-Christ après sa résurrection est monté au Ciel, assis à la dextre de Dieu le Père tout puissant, & de là viendra juger les vifz & les mortz. Aussi sainct Paul aux Colossiens 3 escript ainsi : «Si vous estes resuscitéz avec Christ, cerchez les choses qui sont en hault où Christ est séand à la dextre de Dieu.» Il ne dit point « cerchez Christ qui est à la messe ou au sacraire », mais au Ciel. Par quoy, il s’ensuit bien si son corps est au Ciel, pour ce mesme temps il n’est point en la Terre; & s’il estoit en la Terre, il ne seroit point au Ciel, car, pour certain, jamais ung véritable corps n’est qu’en ung seul lieu pour une foys. Ce que sainct Augustin a bien congneu quand, en parlant de Jésus-Christ, il a ainsi escript : «Donec finiatur seculum sursum Dominus est, sed tamen hic nobiscum est veritas DominL Corpus enim in quo resurrexit in uno loco esse oportet, veritas autem eius ubique diffusa est». Item Fulgence escrit ainsi : «Absens erat Celo secundum humanam substantiam quum esset in Terra; & derelinquens Terrant quum ascendisset in Celum secundum vero divinam & immensam substantiam, nec Celum dimittens quum de Celo descendit, nec Terram deserens quum ad Celum ascendit»
Oultre nous avons infallible certification par la Saincte Escripture, Matthieu 24, que l’advènement du Riz de l’homme, quand il luy plairra partir du Ciel, sera visible & manifeste. & se aucun vous dict : « Icy est Christ » ou là : « Ne le croyez point », Jésus-Christ dit : « Ne le croyez point »; & les sacrificateurs disent : « II le fault croyre ». Disposez-vous, paovres idolâtres, à recongnoistre vostre erreur & confesser vérité, ou en brief temps vous conviendra respondre à ujng petit traicté lequel (Dieu aydànt) sera composé particulièrement de ceste présente matière, si clairement & apertement qu’il n’y aura femme ne enfant qui ne congnoisse vostre damnable cécité.
Tiercement, iceulx paovres sacrificateurs, pour adjouster erreur sur erreur, ont en leur frénaisie dict et enseigné après avoir soufflé ou parlé sur ce pain que ilz prennent entre leurs doigtz & sur le vin qu’ilz mettent au calice, qu’il n’y demeure ny pain ny vin mais, comme ilz parlent de grans & prodigieux motz, par ‘Transsubstantiation » Jésus-Christ est soubz les accidens du pain & du vin caché & enveloppé, qui est doctrine des diables contre toute vérité & apertement contre toute l’Escripture. Et je demande à ces gros enchaperonnéz où ont-ilz inventé & trouvé ce gros mot « Transsubstantiation ». Sainct Paul, sainct Matthieu, sainct Marc, sainct Luc & les anciens pères n’ont point ainsi parlé; mais, quand ilz ont faict mention de la Sainte Cène de Jésus-Christ, ilz ont apertement & simplement nommé le pain & le vin. Voyez sainct Paul comme il escript [1 Corinthiens 11, verset 28] : «L’homme se espreuve soy-mesme.» Il ne dit point : « Voy se a ung tondu pour estre esprouvé »; mais il dit « se espreuve soy-mesme »; puis s’ensuyt; & ainsi « mangeusse de ce pain », il ne dit point « mangeusse le corps de Jésus-Christ qui est soubz la semblance, soubz l’espèce ou apparence de pain », mais apertement & purement il dit « mangeusse de ce pain ». Or est-il certain que l’Escripture ne use point de déception & que, en icelle, il n’y a point de faintise, donc il s’ensuyt bien que c’est « pain ». Item, en ung autre lieu, il est ainsi escript [Act 20, versets 7 et 11] : «Et ung jour de sabbat quand nous estions assemblez pour rompre le pain.» Ausquelz tant évidens passages la Saincte Escripture dit & prononce expressément estre « pain », non point »espèce, apparence ou semblance de pain ». Qui pourra donc plus soubstenir, porter & endurer telz mocqueurs, telles pestes, faulx antéchristz lesquelz, comme présumptueux & arrogans seloh leur ordinaire coustume, ont esté si téméraires et hardis de conclurre & déterminer au contraire. Par quoy, comme^ennemys de Dieu et de sa Saincte Parolle, à bon droict on les doibt rejecter et merveilleusement détester.
Quartement, le fruict de la messe est bien contraire au fruict de la Saincte Cène de Jésus-Christ qui n’est pas de merveilles, car entre Christ & Bélial [nom cité dans la Bible, en particulier dans 2 Corinthiens 6, verset 15, où ce terme est généralement traduit par « diable »] il n’y a rien de commun. Le fruict de la Saincte Cène de Jésus-Christ est publicquement faire protestation de sa foy &, en confidence certaine de salut, avoir actuelle mémoire de la mort & passion de Jésus-Christ par laquelle nous sommes racheptéz de damnation et perdition, avoir aussi souvenance de la grande charité et dilection de quoy il nous a tant ayméz que il a baillé sa vie pour nous et de son sang nous a purgez. Aussi, en prenant tous d’ung pain & d’ung breuvage, nous sommes admonnestéz de la charité & grande union en laquelle tous d’ung mesme esperit nous debvons vivre et mourir en Jésus-Christ. Et cecy, bien entendu, resjouyst l’âme fidèle, la remplissant de divine consolation en toute humilité croissante en foy de jour en jour, se exerceant en toute bonté très doulce et amiable charité. Mais le fruict de la messe est bien autre, mesme comme expérience nous démonstre, car par icelle toute congnoissance de Jésus-Christ est effacée, prédication de l’Évangile rejectée & empeschée, le temps occupé en sonneries, urlemens, chanteries, cérémonies luminaires, encensemens, desguisemens & telles manières de singeries, par lesquelles le paovre monde est comme brebis ou moutons misérablement entretenu & pourmené et par ces loups ravissans mangé, rongé & dévoré. Et qui pourrait dire ne penser les larrecins de ces paillardz ? Par ceste messe, ilz ont tout empoigné, tout destruict, tout englouty. Ilz ont déshérité princes & roys, marchans, seigneurs & tout ce que on peult dire soit mort ou vif. Par icelle, ilz vivent sans soucy, ilz n’ont besoing de faire rien, d’estudier encore moins. Que voulez-vous plus ? Il ne se fault donc esmerveiller se bien fort ilz la maintiennent, ilz tuent, ilz bruslent, ilz détruisent, ilz meurtrissent comme brigans tous ceulx qui à eulx contredisent, car aultre chose ilz n’ont plus que la force. Vérité leur fault. Vérité les menasse. Vérité les suyt et pourchasse. Vérité les espouvante, par laquelle briefvement seront destruict. Fiat. Fiat. Amen.